Tzigane


HN-0587Maurice Ravel
Tzigane for Violin and Piano

Editor: Jean-François Monnard
Fingering: Pascal Rogé
Fing. vn: Frank Peter Zimmermann

27.95 $
Urtext Edition, paperbound
with marked and unmarked string part
No distribution rights for USA

Pages: 42 (V, 19, 9, 9), Size 25,5 x 32,5 cm
Order no. HN 587

Level of difficulty (Violin): difficult (Level 8)

“Virtuoso piece in the style of a Hungarian rhapsody” – thus reads Ravel’s entry on “Tzigane” in the so-called “Autobiographical Sketch”. Composed in 1924, there are three versions of this work: with piano, with orchestra and with luthéal, a device for keyboard instruments to extend the timbre. “Tzigane” was inspired by the Hungarian-English violinist Jelly d’Arányi, to whom Ravel had already promised a virtuoso piece in 1922 following Franz Liszt’s “Hungarian Rhapsodies”. Work progressed slowly and d’Arányi only received the music four days before the première – but she still gave a brilliant performance.


Préface
La Rapsodie de concert Tzigane est le fruit d’une rencontre à Londres de Maurice Ravel (1875 – 1937) avec la violoniste hongroise, mais naturalisée anglaise, Jelly d’Arányi (1893 – 1966). Arrivé à Londres le 29 juin 1922 en compagnie du pianiste Robert Casadesus, Ravel a l’occasion durant son séjour de participer à une soirée musicale chez la cantatrice Louise Alvar, au cours de laquelle Jelly d’Arányi et Hans Kindler interprètent la Sonate pour violon et violoncelle. Madame Casadesus raconte que «tard dans la soirée Ravel demanda à la violoniste hongroise de jouer quelques mélodies tziganes. Jelly d’Arányi s’exécuta, ensuite de quoi le compositeur n’eût de cesse de lui en réclamer de nouvelles, jusqu’à 5 heures du matin» (Arbie Orenstein, La correspondance aux Casadesus de Maurice Ravel, dans: Cahiers Maurice Ravel, no 1, 1985, p. 121). Petite-nièce de Joseph Joachim, élève à Budapest de Jenö Hubay, Jelly d’Arányi avait donné auparavant à Paris, le 8 avril, la 1re Sonate de Béla Bartók, accompagnée par le compositeur. Ravel, qui assistait au concert, aura sans doute déjà été émerveillé par la technique de la violoniste et séduit par l’idée de composer à son intention une pièce acrobatique idéalisant la Hongrie de ses rêves. Mais la fréquentation d’Arányi et de Béla Bartók le conduit d’abord à esquisser une Sonate pour violon.

L’ été 1923 semble y avoir été consacré et le programme d’un concert que Ravel donne au Queen’s Hall à Londres, le 18 octobre 1923, nous apprend en effet que la première mondiale de la Sonate est prévue pour le 16 janvier 1924: «The first performance in the world will be given on that occasion, if ready, of the composer’s New Sonata for violin and piano.»

Entretemps, la date est repoussée et les événements prennent une nouvelle tournure. Décidé d’exploiter à fond les ressources du violon, Ravel convoque Hélène Jourdan-Morhange à son domicile à Montfort l’Amaury près de Paris avec son violon et les 24 Capricci de Paganini. «Il voulait les entendre tous pour ne rien ignorer du violon déchaîné. Il s’amusait des pires difficultés, me faisant essayer tels effets avec de petites améliorations démoniaques. C’est ainsi que dans Tzigane il gagna sans conteste le match Ravel-Paganini» (Hélène Jourdan-Morhange, Ravel et nous, Genève 1945, p. 181). Après avoir étudié les Rhapsodies hongroises de Liszt, Ravel demande le 13 mars 1924 à Jelly d’Arányi: «Auriez-vous l’occasion de venir à Paris dans 2 ou 3 semaines? Si oui, je désirerais vous voir au sujet de la Tzigane que j’écris spécialement pour vous, qui vous sera dédiée et qui remplacera au programme de Londres la Sonate momentanément abandonnée. Cette Tzigane doit être un morceau de grande virtuosité. Certains passages peuvent être d’un effet brillant à condition qu’il soit possible de les exécuter, ce dont je ne suis pas toujours certain» (lettre du 13 mars 1924, dans: Arbie Orenstein, Maurice Ravel. Lettres, Écrits, Entretiens, Paris, 1989, pp. 224 s.). Mais le 25 mars, «presque rien de Tzigane n’est encore écrit» (lettre à Roland-Manuel du 25 mars 1925, dans: Lettres, p. 225) et le 7 avril, Ravel confie à Robert Casadesus: «Tzigane commence à m’inquiéter: à part quelques mesures, c’est entièrement fait (la construction n’en est d’ailleurs pas compliquée); mais presque rien n’en est écrit» (Correspondance aux Casadesus, p. 121). Finalement, Jelly d’Arányi n’aura que quatre jours pour apprivoiser les difficultés de l’oeuvre avant de la présenter pour la première fois à Londres, le 26 avril 1924, avec Henri Gil-Marchex au piano. Au même programme, Ronsard à son âme ainsi que les cinq pièces pour piano à quatre mains de Ma Mère l’oye et Shéhérazade.

La question se pose de savoir si l’oeuvre était vraiment achevée, car le 30 avril, Ravel se trouve à Madrid, à l’Hôtel de Paris, où le journaliste André Revesz le surprend en pleine correction d’épreuves de Tzigane (cf. Mariano Pérez Gutierrez, Les voyages de Ravel en Espagne, dans: Revue Internationale de musique française, no 24, nov. 1987, pp. 38 s.). Sans doute avait-il encore quelques retouches à faire en vue de l’exécution de son oeuvre à Barcelone, le 18 mai, par Marius Casadesus et son neveu Robert au piano. La date figurant dans la partition imprimée, «Montfort l’Amaury, Avril – Mai 1924», laisse même entendre qu’il a continué à travailler l’ouvrage dès son retour en France, avant de l’orchestrer en juillet. La version pour violon et orchestre, dont il a toujours été admis qu’elle avait été donnée en première audition le 30 novembre au Châtelet avec Jelly d’Arányi et l’Orchestre Colonne dirigé par Gabriel Pierné, fut en fait créée le 19 octobre à Amsterdam avec le soliste américain Samuel Dushkin et l’Orchestre royal du Concertgebouw sous la baguette de Pierre Monteux. Auparavant, Tzigane fut présentée le 15 octobre, à la Société musicale indépendante chez Gaveau, dans un arrangement particulier avec Samuel Dushkin et le pianiste Beveridge Webster. Un mécanisme fixé à l’intérieur du piano, baptisé luthéal, lui donnait un timbre assez proche du cymbalum hongrois et des «ferraillements de l’antique clavecin» (Henry Prunières, Les concerts. Tzigane de Maurice Ravel à la S.M.I., dans: La Revue musicale, no 1, novembre 1924, p. 60). Cette invention brevetée en 1919 du facteur d’orgues et de pianos belge Georges Cloetens permettait de modifier la sonorité du piano de concert moderne en lui ajoutant deux registres: un jeu de clavecin et un jeu de harpe tirée ou de luth. Le fait est que le public parisien réserve à Tzigane un accueil chaleureux.

La version avec piano fut imprimée en septembre 1924 alors que celle pour luthéal ne fut publiée qu’en octobre de l’année suivante. La réutilisation de planches de la version avec piano dans l’édition pour violon et luthéal semble confirmer que celle-ci est venue en dernier. C’est la raison pour laquelle la présente édition se base sur la première édition imprimée de la version avec piano, l’accès au manuscrit demeurant verrouillé (voir les Bemerkungen ou Comments à la fin de la présente édition).

Stylistiquement, le morceau de bravoure de Ravel se situe dans la tradition des «tziganeries» que les Pablo de Sarasate, Jenö Hubay et Fritz Kreisler ont lancés sur le marché au début du siècle. Naturellement Ravel ne s’est pas amusé à imiter la musique tzigane, mais il s’en est servi pour féconder l’apparence d’une improvisation. Refusant de céder aux agréments du pittoresque folklorique, il compose «dans le goût d’une rapsodie hongroise».

Tzigane a toujours exercé une singulière force d’attraction sur les virtuoses de l’archet. Dans les années trente déjà, elle comptait parmi les oeuvres les plus jouées de Ravel. On ne possède malheureusement pas d’enregistrement de Jelly d’Arányi. La référence historique demeure celle de Zino Francescatti (1931) qui s’inscrit dans la tradition française. «Il semble que Tzigane ait été écrit pour Francescatti, tant celui-ci s’en approprie avec aisance les difficultés!» (Suzanne Demarquez, Zino Francescatti, dans: La Revue musicale, no 134, mars 1933, p. 217). Yehudi Menuhin, qui n’a que seize ans quand il enregistre Tzigane (1932), ne se montre pas moins imaginatif ni virtuose que son devancier. Autre pièce de collection, celle de Jascha Heifetz (1934) dont la précision quasi-mécanique du jeu et l’incroyable vélocité de la main gauche en font un document irremplaçable. Nous aimerions remercier ici toutes les personnes et institutions nommées dans les Bemerkungen ou Comments d’avoir aimablement mis les sources à notre disposition.

Epalinges, printemps 2014
Jean-François Monnard